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Le retour de Lamort

Il y a 10 ans que je suis morte… 10 ans que j’attends que quelqu’un que je connais finisse par me rejoindre dans ce satané cimetière. Quelques-uns m’ont rendu visite de temps en temps, mais ils ne faisaient presque que pleurer. Plus personne ne vient maintenant. Je n’ai plus rien à faire à part attendre... Quoique, peut-être que je pourrais… revenir.

J’ai été enterré dans le cimetière de la ville. Six pieds sous terre, ça ne doit pas être si dur que ça à creuser… J’imagine la tête que mes amis feraient si je me pointais devant eux, couverte de terre des pieds à la tête, un peu (pas mal) cadavérique. Ils auraient tellement peur! Mes parents feraient sûrement une crise cardiaque… Ils se sont séparés peu après que je fus décédée. Ils n’ont pas été capables de traverser ça ensemble. J’étais leur premier enfant. Mon petit frère a trouvé ça dur aussi, d’ailleurs c’est le dernier visiteur que j’ai reçu. Il a traversé le divorce avec brio. Au moins, il y a garde partagée, alors il peut continuer à voir nos deux parents. Il est chanceux lui! Moi, ben je suis toute seule! S-E-U-L-E …

Ah! C’est vrai. J’ai oublié de me présenter. Je m’appelle Aura Lamort. (Oui, mon nom est concept) 632e du nom depuis 1890. Je suis morte dans un accident de voiture. C’est mon père qui conduisait. Une auto a passé tout droit à un stop et a foncé sur le côté droit arrière de notre voiture… J’étais assise là. Ma mère, Evita Lamort, était assise côté passager et n’a été que légèrement sonnée. Le sac gonflable a fait son travail. Mon frère, Vito Lamort, était assis à côté de moi. Il a été propulsé vers l’avant, mais n’a eu que quelques égratignures. Quant à mon père, Marc Lamort, a marqué notre famille d’un décès. Le mien. J’ai été la seule blessée à mort. Nous avions définitivement des noms qui nous étaient destinés, qui...

Bon! Trêve de bavardages à moi-même. J’ai assez patienté comme ça, je suis morte d’impatience. Je dois aller me dégourdir un peu! Allons, essayons de lever un bras. Oui! Maintenant l’autre… Réussi! Poussons le couvercle. Oh! hisse! Oh! hisse! Ah! Plein de terre vient de tomber sur moi! Une chance que je n’ai plus besoin de respirer. Sinon je serais morte! Plus que six pieds de terre à creuser. C’est drôle de ne pas s’épuiser! Définitivement, j’aime bien la mort, maintenant que je ne suis plus enfermée dans ma tombe. Bientôt, je serai à l’air libre! Allez! Courage! J’y suis preeeesssque! Oui! Je sens l’air avec ma main! Ah! L’air sur mon visage! Ça fait du bien! Je sens alors l’éclat de la lune me rendre ma vitalité. Magie!

Allons! Maintenant, je dois retrouver mes maisons. Réfléchissons… Vito me l’a dit! Il m’a rappelé les adresses dans le temps où il venait me voir! Hum… Ah oui! Vito et maman demeurent au 666 rang du Vide! C’est à deux rues d’ici si je me souviens bien.

C’est le printemps. Il ne fait pas trop froid. Aussi, ils ont eu la brillante idée de me vêtir d’un pantalon et d’un veston! Il fait si beau ce soir. La nuit est tombée, les rues sont désertes. Je ne traumatiserai pas trop de gens comme ça! J’arrive dans ma rue. Je crois apercevoir la maison!

Je monte les marches jusqu’au porche. Est-ce que je devrais frapper? C’est chez moi… ben, théoriquement…

Je regarde par la fenêtre… Je vois mon frère, mon cher petit Vito! Comme il a grandi! Il doit bien avoir… 15 ans maintenant. Oui, il avait 5 ans quand je suis morte. Alors il a 15 ans. Wow! Ça a passé plus vite que je croyais tout de même. Notre mère est assise avec lui sur le divan. Ils regardent un film de… zombies… Ha! Ha! Ha! Quelle coïncidence! Non? Oh! Il se lève! Le film est fini. Ils se font la bise. Il doit sûrement aller se coucher. Je vais faire le tour de la maison et trouver la fenêtre de sa chambre. Peut-être pourrai-je le revoir.

Je regarde par chaque fenêtre que je croise : la chambre de maman, celle des invités, la cuisine, les toilettes. Je le vois! Il se brosse les dents. Oh! Il vient à la fenêtre! Je me colle contre le mur. Il regarde, mais ne me voit pas. Ouf! Il ferme le rideau et éteint la lumière. Il va aller à sa chambre cette fois. La fenêtre suivante est la sienne! Par contre, cette fois-ci, il reste figé en arrivant. Il m’a vue! Je lui fais un coucou de la main. Il tente de lâcher un cri, mais sa gorge reste nouée et aucun son n’en sort. Il se calme alors et s’approche de la fenêtre, je me recule un peu, il l’ouvre.

- Bonsoir Vito!

- Aura? Mais… Tu es morte…

- Oui. Tu as une bonne mémoire.

- Mais… comment…?

- J’ai creusé. Tu sais, avec mes mains.

- Alors, c’est donc vrai tout ce que le monde dit. Les zombies existent vraiment.

- Oui. On dirait bien.

- Alors, peut-être que les vampires aussi existent, et les loups-garous, et les sorcières, et les lutins, et les fées, et les…

- Wô là!

- Bon, c’est vrai. Ça veut rien dire, mais avoue que ça serait cool!

Temps de silence où nous nous regardons.

- Alors? Tu entres? Tu n’es pas obligée d’aller voir maman tout de suite.

- Elle en ferait une crise cardiaque!

- Ha! Ha! Ouais! C’est sûr.

Nous prenons ça par le bon côté.

Toc-toc-toc

- Vito? Tu parles à qui?

On se regarde avec ahurissement.

- Euh à personne, maman! C’est la télé!

- Ah. D’accord. Je vais me coucher! Bonne nuit!

- Bonne nuit maman!

Ouf! On a eu chaud.

Je m’agrippe au bord de fenêtre, Vito me tire par le bras et je tombe sur le sol de la chambre.

- Dis donc! T’es pleine de terre! Maintenant que je te vois mieux à la lumière.

- Ouais. Tu sais, j’étais six pieds sous TERRE!

- Oui c’est vrai.

Nous nous esclaffons et bavardons de ce qui s’est passé après mon absence : ces dix années que je n’ai pas vécues.

- De mon côté, c’était plate à mort! Il n’y a rien à faire dans mon cercueil! À part écouter les gens qui viennent me voir ou voir les autres pensionnaires.

- Alors tu m’entendais…

- Bien sûr!

- Mais tu ne pouvais pas parler aux autres «pensionnaires», comme tu les appelles?

- Oui, on s’est jasé un peu, mais ils sont rendus comme dans un état végétatif. Ça ne leur va pas la mort.

- Ah. D’accord.

C’est à ce moment qu’une étrange chauve-souris passa devant la fenêtre de Vito en nous regardant d’un drôle d’œil.

- C’était quoi ça?

- Peut-être un vampire!

Nous nous esclaffons de nouveau. Sans nous douter que la chauve-souris continuait de nous épier, perchée sur un arbre proche de là.

- Alors, tu vas faire quoi?

- Je ne sais pas. Je me suis extirpée de mon trou sur un coup de tête. J’en avais assez d’attendre, toute seule. Je n’ai pas trop réfléchi à ce que j’allais faire…

- Tu veux visiter un peu la ville? C’est la nuit alors on ne risque pas de croiser du monde.

- Oui, c’est une bonne idée.

Il me prête un petit manteau et on sort. Il me fait visiter de nouveaux endroits qu’il aime. Ça fait du bien de passer du temps avec mon petit Vito.

Soudain… Un chien se précipite sur nous en courant.

- Hé! Tout doux le chien!

- Mais… C’est Sam!

- Hein? Il est mort il y a cinq ans…

Un jeune homme d’à peu près mon âge arrive de la même direction que Sam. C’est-à-dire, du cimetière…

- Bonsoir Vito. Aura.

- Albus?!

Notre voisin d’antan.

- Oui, vous avez une bonne vue.

- Mais…

- Je suis mort. Oui, je le sais. C’était, il y a douze ans, si je compte bien. Dans un accident d’autobus. Quand j’ai entendu Aura s’extirper de sa tombe, je suis sorti de mon état végétatif et me suis décidé à tenter de sortir du trou. Malheureusement, je n’avais plus assez de force. Soudain, j’ai entendu des coups de griffes dans la terre au-dessus de moi. Sam s’était déterré peu après vous et était en train de me sortir de là à mon tour. Une fois à la lumière de la lune, je me suis réparé. Puis, Sam m’a conduit à vous.

On se fait l’accolade.

- Tu ne seras plus seule dans ce cimetière. Je vais me tenir éveillé pour toi!

- Et Sam nous tiendra compagnie aussi.

- Je pense que c’est le temps pour nous de retourner dans notre trou.

- Oui, c’est vrai.

- Alors c’est le moment des adieux, Sœurette.

- Ce n’est peut-être qu’un au revoir!

On s’esclaffe de nouveau et on se fait la bise.

Vito retourne à la maison. Albus, Sam et moi on s’en retourne au cimetière. Bien plus heureux et «en vie» qu’à notre premier enterrement!

 

Depuis ce jour ou plutôt, cette nuit, je ne suis plus seule dans mon cimetière. Je jase avec Jason et, chaque nuit, on sort de notre tombe avec Sam et on se balade dans la ville. De beaux moments que ceux-là! Parfois même (ou plutôt assez souvent) on retourne voir Vito.

Finalement, la mort, ce n’est pas si terrible!!

© 2019 Mélanie Belliveau-Roy | CarpeLumos

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